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jeudi 20 octobre 2011

La France commémore le cinquantenaire en force mais pas officiellement


Paris, 17 octobre 1961. Les Algériens de France sont sous le coup d'un couvre‑feu imposé par les autorités. En riposte, mais surtout pour demander l'indépendance de leur pays, près de trente mille d'entre eux, hommes, femmes et enfants, sortent pacifiquement dans les rues de la capitale française à l'appel de la Fédération de France du FLN. La répression, commanditée par Maurice Papon, alors préfet de police, est extrêmement violente : des milliers d'arrestations, des centaines de manifestants tués, jetés à la Seine et de nombreux blessés. Le bilan officiel est de trois morts et 64 blessés. Le bilan réel se situe probablement autour de 200 morts, voire plusieurs centaines, selon l’historien Jean‑Luc Einaudi qui a publié en 1991 La bataille de Paris.




Le cinquantenaire des massacres est marqué en France par plusieurs événements, cinématographiques d’abord. Ici on noie les Algériens, de Yasmina Adi qui sort en salles ce 19 octobre, est une reconstitution minutieuse des événements à base d'archives audiovisuelles, pour la plupart inédites, et de témoignages. En regard de ce riche documentaire, Octobre à Paris, de Jacques Panijel, premier film tourné sur le 17 octobre, financé par le Comité Audin (collectif d'intellectuels français engagés pour l'Algérie indépendante), sort aussi en salles après avoir été censuré jusqu'en 1973 puis bloqué pour des questions de droits jusqu'à aujourd'hui. Le festival « Le Maghreb des films », après un colloque de la Ligue des droits de l'homme et de l'association Au nom de la mémoire, présidée par Mehdi Lallaoui, co‑auteur du Silence du fleuve avec Agnès Denis, propose une journée spéciale mardi 18 octobre.
Cinquante ans de silence officiel

En parallèle, un Appel pour la reconnaissance officielle de la tragédie a été lancé par le journal en ligne Mediapart, dont le directeur, Edwy Plenel, récemment en visite au salon du livre d'Alger, prévoit par ailleurs d'accompagner le cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie de plusieurs événements. Cet appel pour le « souvenir » et pour « l'apaisement entre la France et l'Algérie », a été signé par des dizaines de personnalités telles que les résistants Raymond Aubrac et Stéphane Hessel, le sociologue Edgar Morin, l'ancien premier ministre Michel Rocard, les écrivains Didier Daeninckx, Nancy Huston ou François Maspero, le directeur des Temps Modernes Claude Lanzmann, ou encore le directeur du Nouvel Observateur, Jean Daniel.

Dans la lignée de cet appel, le Parti socialiste a publié un communiqué réclamant la reconnaissance des événements par l'État français, l'établissement des responsabilités et la facilitation de l'accès aux archives pour les historiens, préalables à une « pleine réconciliation entre les peuples français et algérien, essentielle pour bâtir de nouvelles relations tournées vers notre avenir commun ». Côté Élysée, « il est fort peu probable qu'il y ait une évolution positive compte tenu des positions de Nicolas Sarkozy sur la colonisation », le chef de l'État étant hostile à l'idée de repentance réclamée par l'Algérie, parie l'historien Olivier Lecour Grandmaison.
Dernière illustration de cette intransigeance de la droite au pouvoir sur cette question de la mémoire : le 7 octobre, en pleine polémique entre la France et la Turquie sur le génocide arménien de 1915, le ministre français de l’Intérieur Claude Guéant a été interrogé sur l’éventuelle réaction de la France si la Turquie décidait de reconnaître « le génocide des Algériens ». Ce proche de Nicolas Sarkozy a répondu : « le président de la République française est allé en Algérie, il a eu des propos extrêmement forts sur ce moment douloureux de notre passé entre l'Algérie et la France. Il a tourné la page ».
Ce à quoi Amar Belani, porte‑parole du ministère des Affaires étrangères répond : « tout d'abord, la mémoire est intangible. Elle appelle une exigence de vérité et elle est réfractaire au révisionnisme et à l'occultation historiques. Ensuite, nous considérons que les déclarations faites par des officiels étrangers ne sauraient, en aucune manière, engager l'Algérie, son peuple et ses institutions », a‑t‑il expliqué à TSA. Comprendre : en Algérie, la page est loin d’être tournée.

Source : TSA / Sarah Elkaïm (17/10/11)

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